Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le monde merveilleux de Nedjma
Archives
Derniers commentaires
30 juin 2007

Lettre à Toutankhamon

Lettre d'amour à Toutankhamon.

Toutankhamon

Jeune Roi Toutankhamon.

Hier soir, j'ai vu au musée cette petite colonne d'ivoire que tu as peinte toi même en bleu, rose et jaune.
Pour ce petit objet futile et sans utilité dans notre existence rustre, pour cette simple petite colonne coloriée par tes mains fines, telles des feuilles d'automne, j'aurais donné les dix plus belles années de ma vie, elle aussi futile et sans utilité … Dix année d'amour et de foi.

Près de cette petite colonne j'ai vu aussi, jeune Roi Toutankhamon, j'ai vu hier soir, un de ces soirs clairs de ton Egypte, j'ai vu de mes yeux ton coeur enfermé dans un coffret en or.

Pour ce minuscule coeur de poussière, pour ce coeur enfermé dans un coffret d'or et d'émail, j'aurais donné mon coeur à moi, encore jeune et tiède, encore pur.

Parce que hier soir, Roi plein de mort, mon coeur a battu pour toi, plein de vie, et ma vie s'est mêlée à ta mort, et la faite fondre me semblait-il…

Oui, elle l'a faite fondre cette mort dure et collée à tes os, avec la chaleur de mon haleine, avec le sang de mon rêve, et l'amour et la mort, versés l'un dans l'autre, n'en finissaient pas de m'enivrer de mort et d'amour…

Hier soir, un soir d'Egypte constellé d'ibis blancs, j'ai aimé tes yeux intouchables à travers le cristal…

Un soir il y a longtemps, un soir de la même Egypte où les oiseaux éparpillaient la lumière, tes yeux étaient immenses et fendus jusqu'à tes tempes frémis-santes…

Et ce soir-là, un soir semblable à celui d'hier soir, tes yeux s'ouvraient et se fermaient sur la terre comme deux lotus mysté-rieux.
Des yeux rougeoyants, de la couleur du couchant et des eaux du Nil après les pluies de Septembre.

Tes yeux étaient maîtres d'un empire, maître de villes fleu-ries, de gigantesques pierres millénaires, de champs semés jusqu'à l'horizon, d'armées victorieuses au-delà des sables de Nubie, ces archers habiles, ces auriges altiers, gravés sur les hiéroglyphes et les monolithes dans ce mouvement immobile à jamais.

Tout était dans tes yeux, Roi tendre et puissant, tout t'était destiné avant même que tu saches regarder… et tu n'as jamais eu le temps de regarder.

Aujourd'hui tes yeux sont fermés, et tes paupière couvertes de poussière grise. Tes yeux n'ont de vie que cette poussière, cendre de tes rêves consumés. Aujourd'hui entre tes yeux et mes yeux, il y a ce cristal qui ne sera jamais brisé…

Pour tes yeux que je ne pourrais jamais ouvrir de mes bais-ers, je donnerais mes yeux à qui voudra, mes yeux avides de paysages, voleurs de ton ciel, maîtres du soleil du monde.

Je donnerais mes yeux vivants pour sentir une minute ton regard, ce regard venu de trois mille neuf cents ans… Pour le sentir une seule fois se poser sur moi, vibrante et figée sous le halo pâlie d'Isis.

Jeune Roi Toutankhamon, mort dans sa dix-neuvième année; laisse-moi te dire ces folies que peut-être personne ne t'a jamais déjà dites, laisse-moi te les dire dans la solitude de ma chambre d'hotel, dans le froid de ces murs partagés avec des étrangers, plus froids que les murs de ta tombe que tu n'as pas voulu partager.

Je te les dis à toi, Roi adolescent, gravé toi aussi de profil dans ta jeunesse immobile, dans ta grâce cristallisée… Gravé dans ce geste qui interdisait le sacrifice des colombes dans le temple du terri-ble Amon-Râ.

Je te verrai toujours ainsi, dressé face aux prêtres malveillants, dans un geste d'aile blanche…

Il ne me restera rien de toi sinon ce rêve, car tu m'es refusé, interdit, infiniment impossible. Et pendant des siècles et des siècles, tes dieux continueront de veiller sur toi, à jalouser jusqu'à la dernière mêche de tes che-veux.

Je pense que tes cheveux étaient lisses comme la pluie la nuit… Et je pense que grâce à tes cheveux, tes colombes et tes dix-neuf ans si près de la mort j'aurais été ce que je ne serai ja-mais plus, un peu d'amour.

Mais tu ne m'as pas attendu. Tu as continué à marcher sur ton rayon de lune. Tu ne m'as pas attendu, tu es al-lé à la mort comme un enfant va dans un parc avec tous ses jouets, sans se lasser de jouer…Suivi de ton char d'ivoire et de tes gazelles fringantes…

Si les gens sensés ne s'en seraient pas indignés, j'aurais bien embrassé tes jouets, tes lourds jouets en or et en argent, jouets étranges avec lesquels les enfants d'aujourd'hui, tout à la boxe et à la balle-au-pied, ne sau-raient plus jouer.

Si les gens sensés ne s'en seraient pas scandalisés, je t'aurais enlevé de ton sarcophages en or, lui-même enfoui dans trois sarcophages en bois, et dans un grand sarcophage de granit, je t'aurais bien enlevé de cette profondeur sinistre qui te rend encore plus mort pour mon coeur effronté que tu fais battre… qui a battu seulement pour toi, Ô Roi très doux !… ce soir si clair d'Egypte… dans les bras de lumière du Nil.

Si les gens sensés ne s'en seraient pas mis en colère, je t'aurais délivré de tous ces sarcophages, j'aurais déroulé les bandelettes qui serrent ton corps frêle et t'aurais enveloppé ten-drement dans mon châle en soie…

Puis je t'aurais serré contre ma poitrine comme un enfant malade… Et comme à un enfant malade je t'aurais chanté la plus belle de mes chansons, le plus doux, le plus court de mes poèmes.


Dulce María Lyonaz, Cuba, (écrit en 1929)

Publicité
Commentaires
Le monde merveilleux de Nedjma
Publicité
Le monde merveilleux de Nedjma
Publicité